Ergerzhadeg Breizh

Ergerzhadeg Breizh (Expédition Bretagne en breton) : une aventure en trail, une traversée insulaire au rythme du souffle et des marées.

Cette année, j’ai posé mes valises en Bretagne. Pour apprendre à connaître cette région, j’ai choisi la seule façon qui me semblait évidente : enfiler mes baskets, et partir à la découverte de ses îles, en courant. Au programme onze îles à découvrir, à ressentir, à parcourir jusqu’au dernier sentier. Des kilomètres de côte, de granit, de vent et d’embruns, pour renouer avec l’essentiel : courir pour explorer, courir pour s’émerveiller.

Depuis quelques mois, j’avais l’impression d’avoir perdu la flamme. Courir, autrefois source d’élan et de joie, s’était mué en habitude, en routine. Je m’entraînais beaucoup et les résultats corrélaient, surtout sur route mais je ne savais plus vraiment pourquoi je courais. Même la mer, omniprésente, semblait ne plus suffire à faire battre mon cœur de coureur. Alors, j’ai décidé de m’élancer autrement...

Sans chrono. Sans dossard. Sans compétition. Juste moi, mes jambes, et les îles. Je ne voulais plus courir contre les autres, ni même contre moi-même. Je voulais me retrouver, me reconnecter au mouvement, à l’effort simple et pur, à la beauté brute de cette Bretagne dont je tombe amoureux un peu plus chaque jour.

Etape 1 : L’île de Groix

Six mois après l’avoir apprivoisée pour la première fois, me revoilà.
Cette fois-ci, l’objectif est tout autre : aucun enjeu de performance, seulement le plaisir. Bien que l’entraînement joue un rôle important, cette fois-ci, j’ai parcouru les 27 km sans douleur, mais avec une joie profonde. Et, comme un clin d’œil du destin, j’ai amélioré mon temps d’une demi-heure comme quoi…

Mon départ s’est décidé à H-48. Cela faisait trois semaines que je privilégiais d’autres sports à la course et au trail, trois semaines sans motivation, où je subissais mes entraînements plus que je ne les vivais. Puis j’ai regardé la météo : il faisait super beau (traduction en breton : pas trop de pluie annoncée dans la journée). Alors j’ai pris mes billets de bateau, préparé mon sac, rechaussé mes chaussures de trail (délaissées depuis six mois pour celles de route) et pris la direction du port de Lorient.

Je crois que j’ai retrouvé ma flamme !
J’ai retrouvé ce sentiment de liberté : accélérer dans les singles, slalomer entre les racines, me jeter tête baissée dans les descentes, et surtout, admirer seul au monde (intérêt de partir un mardi hors saison) la beauté sauvage de cette île, tant par ses paysages que par la faune et la flore qui l’habitent.

Étape 2 : Quiberon

Ce matin, en ouvrant les yeux, mon premier regard s’est porté vers le ciel. Il faisait beau, j’ai fais 50km direction Quiberon, il ne faisait plus beau, bienvenue en Bretagne ! Là-bas, le vent s’était levé, mordant et vif, balayant le froid sur son passage. Impossible de reculer désormais. Alors, je me suis élancé, défiant les rafales qui s’engouffraient sur la presqu’île.

Au programme : 29 kilomètres, sans véritables montées ni descentes abruptes, mais avec un terrain piégeur. Le sable, omniprésent, avalait mes foulées, et le vent, toujours de face qu’importe la direction que je prenais, s’amusait à ralentir ma course.

Quiberon a une âme à part. Plus balnéaire, moins sauvage que d’autres îles, elle impose un rythme différent. J’ai délaissé mes chaussures de trail pour retrouver celles de route, plus adaptées à ce décor. Le parcours m’a d’abord mené le long des plages ouest, frôlant parfois des passages étroits, où un simple faux pas aurait pu me faire basculer dans le vide. Puis, Saint-Pierre de Quiberon et son port de plaisance ont marqué une transition avant l’arrivée à Port Maria… et enfin, la côte sauvage, brutale et magnifique.

Au final, ces 29 kilomètres se sont déroulés sans grande difficulté, ce qui est plutôt rassurant en vue de mes prochaines étapes à Ouessant et Belle-Île.

Étape 3 : Arz

Belle et paisible. Si je devais la résumer en deux mots, voilà comment je décrirais cette première escale dans ma conquête du golfe du Morbihan. Deux jours après avoir refermé le chapitre de Quiberon, poussé par une météo radieuse, j’ai pris la route, cap sur l’île d’Arz. Trente minutes de bateau, bercé par la lumière dorée du golfe, et me voilà débarqué sur ce petit bout de terre, prêt à en faire le tour.

Arz est peu peuplée. Un mardi d’hiver, autant dire que je me retrouve rapidement seul, arpentant les sentiers au rythme du vent. L’étape du jour est plus courte que les précédentes, et je me laisse porter par la quiétude du lieu. Jusqu’au moment où, en consultant l’heure de départ de mon bateau par curiosité, je réalise mon erreur : si je ne me presse pas, je resterai ici bien plus longtemps que prévu.

Soudain, fini la contemplation, place à la course. J’accélère, allonge la foulée, le port en ligne de mire mais toujours en jetant des coups d’œil à gauche et à droite afin de m’imbiber de ce spectacle. Une dernière ligne droite effrénée, et j’embarque in extremis, une minute avant le départ.

Les kilomètres s’accumulent, mais mon corps tient bon. Pas de douleur, juste cette sensation de liberté qui grandit à chaque pas.

Étape 4 : Batz

Après deux semaines où le tumulte du quotidien a pris le pas sur l’évasion, il était temps de retrouver l’air libre, celui qui souffle sur les îles et emporte avec lui les pensées trop lourdes. Une météo clémente m’a guidée vers l’île de Batz, la plus septentrionale et la plus modeste de mon périple.

Petite par la taille, mais grande par son caractère, elle offre un contraste saisissant : si proche du continent et pourtant si farouchement préservée. Ici, la roche règne en maître, sculptée par le vent et les marées, tandis que les sentiers serpentent entre lande et rivages escarpés. J’y ai retrouvé mes traces de trail, mes sentiers familiers, et me suis laissé porter par une course légère, 13 kilomètres seulement, sans réelle difficulté, juste pour le plaisir de sentir la terre sous mes pas et le vent sur mon visage.

Après l’effort, l’exploration. Arpenter l’île, s’imprégner de son essence, capturer l’instant, et encore une fois, admirer les paysages sauvages du Finistère qui n’en finissent pas de surprendre.

Étape 5 : l’Île-aux-Moines

Les jours passent et les nuages s’accrochent, me clouant à terre, suspendant un peu plus mon avancée. Le temps semble figé dans cette attente météorologique, et à force de tourner en rond, je décide de sortir malgré les menaces d’orage. Quitte à être mouillé, autant l’être en mouvement. Me voilà donc de retour dans le golfe du Morbihan, et cette fois, c’est l’île aux Moines qui m’ouvre ses chemins.

Je pensais y trouver une île tranquille, presque lisse, sans grandes surprises. Mais à peine les premiers kilomètres entamés, je comprends que ce sera tout le contraire. Le relief se dessine rapidement, les sentiers se resserrent, les pierres glissent sous les pieds, et l’humidité rend chaque appui plus délicat. Les sept premiers kilomètres sont presque escarpés, exigeants, inattendus. Puis, soudain, le terrain s’ouvre, les jambes retrouvent de la régularité, et les douze kilomètres suivants se déroulent presque sans heurts, comme une récompense après l’effort initial.

Ce n’est pas une île de large mer, pas de grandes falaises ni d’horizon vide à perte de vue. Et pourtant, il y a ici une forme d’énergie douce, discrète mais présente, comme une vibration propre à ces lieux qui flottent entre terre et mer. Ce n’est pas l’étape la plus difficile du périple, mais elle a ce quelque chose d’inattendu, ce mélange de contrastes qui donne envie de rester un peu plus longtemps. L’île aux Moines m’a surpris, sans éclat mais avec finesse.

Étape 6 : Ouessant

Peut-être pas l’île la plus adaptée au trail, mais sans aucun doute la plus belle jusqu’ici.
Quel spectacle que ce paysage ! Une terre brute, pure, indomptée. Falaises abruptes, roches éparses, troupeaux en liberté… Le tout bercé par une mer infinie et scintillante. Ouessant m’a coupé le souffle. C’est, sans conteste, l’île la plus majestueuse que j’ai foulée depuis le début de cette aventure.

Le vent, bien présent, soufflait avec force, mais un soleil généreux venait adoucir ses morsures. C’est entre deux partiels, dans cette parenthèse inattendue, que j’ai pris le départ ce vendredi. Et bonne nouvelle : les jambes répondaient à l’appel !
Mais ici, la nature règne en maître. Suivre une trace GPX ne veut pas dire emprunter un sentier. Cela signifie avancer, même là où aucun chemin n’existe vraiment…

Ouessant, sauvage, mais aussi piquante. Bordée de ronces et d’ajoncs ces fameuses plantes redoutables bien connues des marcheurs bretons elle m’a rappelé que l’errance a un prix. Quand on se perd, il faut parfois tracer tout droit en « azimut brutal » comme ils diraient à Lann-Bihoué, et là les ajoncs, ça pique, vraiment.

Étape 7 : Bréhat

Fin des partiels, fin d’année… et surtout début d’une nouvelle traversée. Cette fois, cap au nord, vers les rivages granitiques de l’île de Bréhat, joyau breton au large de la côte armoricaine.

Bréhat, ce n’est pas vraiment une île ce sont deux grandes masses rocheuses, unies une petite languette, sculptées par le vent et le sel. Sauvage, sublime, brute. Comme souvent, j’ai délaissé les sentiers balisés pour tracer ma propre route. Mauvaise idée ? Peut-être. Disons… ambitieuse. À la place d’un chemin, j’ai trouvé des falaises, et les trois premiers kilomètres se sont transformés en session d’escalade improvisée sur les roches roses de l’île.

À force de contorsions et de s’escalade, j’ai fini par retrouver des sentiers, jusqu’au phare, perché à la proue de l’île nord.

Là-haut, le paysage s’est ouvert en grand : un panorama exceptionnelle sur la face nord.

Mais l’île n’en avait pas fini avec moi. J’ai poursuivi ma route, parfois sur des traces, parfois dans le vide, toujours avec cette impression de me perdre… Au final, l’orientation fut hasardeuse, mais presque juste : seulement 3 kilomètres de bonus au compteur.

Étape 8 : Hœdic

Comme prévu: à peine rentré, déjà reparti. Cap sur Hodic, un simple tas de sable posé sur l'océan, bordé de plages turquoise.

Cette île est sans doute ma préférée de toute l'épopée. Sauvage, presque déserte, comme oubliée du monde. Chaque matin, un bateau y dépose quelques passagers. Le soir, il repart. Pas d'hôtel, pas de port pour la nuit ou presque. Cela signifie que seuls quelques privilégiés, ceux qui acceptent l'aller-retour éclair, peuvent goûter à la solitude magique de cette île.

C'est ainsi que je me suis retrouvé, avec un petit groupe, presque seuls au monde. Face à Hœdic. Juste elle, et nous. Le temps d'une journée.

Ses paysages sont d'un autre temps. Préservés, silencieux. Les quelques maisons, blotties au cœur du bourg, sont typiquement bretonnes elles semblent veiller sur l'île autant que l'île veille sur elles.

Le tour est court, d'ailleurs c'est l'étape la plus courte de mon aventure. Un sentier de sable fait le tour, chaque pas un peu lourd mais chaque virage dévoile une nouvelle crique, un nouveau joyau.

Hœdic marque aussi un tournant : le début de mon exploration autour de la baie de Quiberon. Deux silhouettes m'accompagneront désormais, visibles depuis les dunes : la majestueuse Belle-Île, et sa jumelle plus discrète : Houat.

Étape 9 : Belle-Île

Elle porte bien son nom. Des paysages somptueux, des anses secrètes, une mer qui danse contre les rochers et un GR… comment dire ? Intraitable !

Pour la première fois depuis le début du périple, je suis parti pour plusieurs jours, décidé à avaler les 77 km du GR340 en 48 heures.
Et pour la première fois aussi, j’ai fait une vraie sortie trail : des foulées entre les roches au bord des falaises, des pas perdus dans les fougères hautes jusqu’à ne plus voir mes pieds, enfoncé dans l’immensité verte.
J’ai croisé un bouquetin sauvage, surpris par la proximité, comme moi. La faune ici ne se cache pas : elle te regarde passer.
Et puis il y a eu ces 2 500 mètres de dénivelé positif. Autant dire que les cuisses ont chauffé.

C’était de loin l’étape la plus dure. Incomparable aux autres îles.
Des sentiers écrasés de soleil, le vent sifflant contre les falaises, les roches qui absorbent la chaleur et la renvoient comme un feu discret.
Assez tôt dans la boucle, une blessure au pied m’a handicapé. Mais j’ai continué. J’ai appris à l’accepter, à l’écouter sans m’arrêter.
Et surtout, cette île m’a rappelé une chose essentielle : ne pas lutter contre la nature, mais marcher avec elle.

77 km dans la douleur. Mais 77 km de paysages inoubliables. 77 km pour se souvenir qu’on est vivant.
Cap sur Houat à présent que j'aperçois déjà, fine et blanche sur la mer, pendant que j’écris ces lignes depuis le pont du bateau.

Étape 10 : Houat

Dernière escale bretonne.
Bien qu’elle ressemble à sa jumelle Hœdic, Houat se dévoile plus végétale, plus sableuse. À peine débarqué, c’est avec un léger pincement au cœur et une pointe de nostalgie que je me suis lancé sur le sentier, conscient qu’il s’agissait là de ma dernière île dans cette belle région.

J’y ai découvert une terre magnifique, tissée de contrastes : une végétation dense, des anses secrètes, et de grandes plages où l’eau turquoise vient mourir sur le sable clair. Le chemin côtier, sans grandes difficultés, m’a offert un condensé de toutes les îles foulées jusqu’à présent.
Une première partie verte et sauvage, où chaque pas s’enfonce dans les fougères épaisses et les ajoncs piquants, ralentissant le rythme et forçant à l’observation. Puis, une section plus minérale, escarpée par endroits, où la nature semble reprendre ses droits : les mouettes y règnent, fières et bruyantes, comme les gardiennes d’un territoire désert la nuit, mais vivant le jour.
Enfin, une portion de sable profond où marcher devient un effort lent et régulier, menant à un bourg breton minuscule, presque irréel, posé là comme oublié du temps.

Comme sur Hœdic, il est difficile d’y séjourner plus d’une journée. Et c’est justement cela qui en fait la beauté : très vite, l’île redevient silencieuse, presque vide. Presque à soi.

C’était donc la dixième, et dernière, île bretonne de ce voyage.
Il est temps à présent de quitter la Bretagne, de mettre le cap vers sa région voisine pour l’ultime étape qui me permettra de rallier les deux régions et mettre fin à ce périple : l’île d’Yeu.
Il est temps à présent, de profiter une dernière fois de la beauté de la nature insulaire, comme une dernière danse…